Le droit du travail français en conflit avec le droit européen ?

L’acquisition des congés payés durant l’arrêt maladie, le harcèlement, le barème « Macron », sont autant de thèmes qui illustrent les conflits pouvant exister entre le droit interne français, et le droit européen.

  • Mise en conformité du droit français avec le droit européen

Depuis 2014, la Cour de cassation appelait le législateur français à adapter notre code du travail au droit communautaire (cf. rapport annuel de la Cour de cassation pour 2013).

Face à l’inertie du législateur, la cour administrative d’appel de Versailles a condamné l’État français pour ne pas avoir modifié les règles d’acquisition des congés payés par un salarié malade (CAA Versailles, 17 juillet 2023, n° 22VE00442).

Après plus de dix ans d’inaction de la part du législateur français, la Cour de cassation a fini par tordre le bras du législateur en s’appuyant directement sur les directives européennes pour consacrer le droit au repos en cas de maladie et ainsi écarter les dispositions du droit français qui ne sont pas conformes au droit de l’Union européenne.

Dans des arrêts du 13 septembre 2023, la Cour de cassation met ainsi en conformité le droit français avec le droit européen en matière de congés payés. Trois enseignements découlent de ces décisions :

  1. Les salariés atteints d’une maladie ou victimes d’un accident, de quelque nature que ce soit (professionnelle ou non professionnelle) ont le droit de réclamer des droits à congés payés en intégrant dans leur calcul la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler.
  2. En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’indemnité compensatrice de congés payés ne peut être limitée à un an.
  3. La prescription du droit à congés payés ne commencera à courir que lorsque l’employeur aura mis le salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile (il était ici question d’une action en reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail : la prescription ne court qu’à compter du moment où l’existence du contrat est reconnu, une façon habile pour les magistrats de « sanctionner » l’employeur auteur de travail dissimulé).
  • Quels impacts ?

Concrètement, quelle est la conséquence de ces arrêts ?   quelles actions immédiates doivent prendre les employeurs ?

La Cour de cassation a écarté l’application des dispositions légales relatives aux règles d’acquisition des congés payés par un salarié malade.

Il en résulte une forte insécurité juridique pour les employeurs et les salariés qui s’interrogent sur la rétroactivité éventuelle de cette décision.

Dès lors que la Cour de cassation a lancé le mouvement, il est fort à craindre que toutes les juridictions s’alignent désormais sur sa position.

Pour l’avenir, la meilleure option juridique serait nécessairement de faire application des décisions susvisées.

Pour le passé, plusieurs options sont envisageables :

  • attendre que le législateur légifère et se positionne sur les conditions d’application de la loi dans le temps (i.e. : prévoit expressément que la réforme ne sera applicable qu’à compter de la publication de la loi). Cette option est à notre avis la plus prudente ;
  • trouver une solution transactionnelle si des situations litigieuses ou potentiellement litigieuses devaient se présenter. Une transaction en bonne et due forme pourrait être rédigée entre les parties ;
  • tenter une éventuelle action en responsabilité contre l’Etat, sur l’application de la loi dans le temps, en cas d’échec devant les juridictions sociales .

 

  • D’autres réformes à venir

Les congés payés ne sont pas les seuls impactés par l’influence européenne.

En effet, les violences au travail et le harcèlement pourraient bien faire parler d’eux à nouveau les mois prochains.

Le 18 septembre 2023, le Conseil de l’Union Européenne a invité les États membres à ratifier la convention 190 de l’OIT sur la violence et le harcèlement.
Cette convention :

– « établit des normes minimales pour lutter contre le harcèlement et la violence liés au travail« .
– prévoit que tout signataire doit adopter « une approche visant à éliminer la violence et le harcèlement dans le monde du travail ».

Il est même indiqué que l’objectif est :

d’« interdire en droit la violence et le harcèlement »,  
de « garantir que des politiques pertinentes traitent de la violence et du harcèlement »,  
d’ »adopter une stratégie globale afin de mettre en œuvre des mesures pour prévenir et combattre la violence et le harcèlement »,  
ou encore de « garantir l’existence de moyens d’inspection et d’enquête efficaces ».  

La France a ratifié la convention 190 en avril 2023. Nul doute que le législateur se saisira de ces sujets particulièrement sensibles.

Enfin, concernant le barème « Macron », le comité des ministres du Conseil de l’Europe a recommandé le 6 septembre 2023 de réexaminer et modifier, le cas échéant, la législation sur l’indemnisation  des licenciements abusifs « afin de garantir que les indemnités accordées » et « tout barème utilisé pour les calculer tiennent compte du préjudice réel subi par les  victimes et des circonstances individuelles de leur situation« .

Le Conseil de l’Europe estime en outre que la France doit « poursuivre ses efforts » afin que le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse soit « dissuasif pour l’employeur, afin d’assurer la protection des travailleurs contre ces licenciements injustifiées« .

Reste à déterminer comment le législateur français se saisira de ces chantiers européens.

Une chose est certaine : des réformes se préparent, vers un alourdissement de la législation sur ces thématiques.

L’ensemble de notre équipe est à votre disposition pour vous accompagner et faire face à ces problématiques.

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