Le 14 avril 2022, le Tribunal judiciaire de Fort-de-France a rendu deux ordonnances en référé sur lesquelles il convient de s’attarder tant elles revêtent de l’importance quant à l’appréciation du trouble illicite dans l’exercice du droit de grève.
S’il convient de rappeler avec force que le droit de grève est un droit fondamental à valeur constitutionnelle susceptible de perturber l’activité de l’entreprise employant les salariés grévistes, « son exercice trouve cependant sa limite en cas d’atteinte à un droit de même valeur. Ainsi, il est constant que l’exercice du droit de grève peut dégénérer en abus s’il porte atteinte à la liberté du travail ou risque d’entraîner une désorganisation réelle et grave de l’entreprise elle-même ».
Cet « abus », est apprécié par le juge au moment où il statue.
Nous en arrivons au cœur du débat juridique ayant agité la Martinique ces deux dernières semaines.
Ces dernières ont en effet été le théâtre d’une nouvelle dynamique de la grève sur notre territoire :
Dans un premier cas, les accès de plusieurs entreprises se trouvèrent entravés par des véhicules, des pneus, des palettes, des grévistes. Une assignation en référé fût immédiatement introduite. Les blocages furent levés à la fin de la journée et un autre site se trouva entravé le lendemain. Le jour de l’audience, 48h après les premiers blocages, aucun barrage n’était à déplorer (les grévistes étaient tous au tribunal), mais des actions futures étaient à craindre.
La question qui se posait au Tribunal était de déterminer si le trouble manifestement illicite était caractérisé dès lors qu’au moment où le juge statuait les entraves étaient levées mais que des actions futures en d’autres lieux étaient attendues ? Non, statue le juge des référés dans un premier temps.
Onde de choc dans le fragile équilibre du dialogue social au milieu d’un conflit social. Voilà que la stratégie se répand dans le monde syndical et qu’une autre entreprise se trouve victime de cette pratique.
La solution parfaite du gréviste serait-elle donc de bloquer et débloquer les entreprises au gré des audiences de référé ? Le tribunal aurait il réellement donné un blanc-seing aux grévistes pour désorganiser les entreprises ?
La réponse à ces questions nous est apportée une nouvelle fois par le Tribunal judiciaire qui n’aura pas été dupe de la stratégie.
Il juge dans un premier cas que « En effet, le mode utilisé par le syndicat tendant à placer des palettes et des véhicules pour empêcher la sortie ou l’entrée des camions et autres véhicules des entrepôts appartenant ou utilisés par les entreprises demanderesses permet d’enlever ou de remettre facilement les entraves utilisées. Certes les mesures prises par le juge […] ne doivent strictement tendre qu’à la prévention du péril imminent ou à la cessation du trouble manifestement illicite […] et non à prévenir tout risque pour l’avenir pour le requérant. Toutefois, en l’espèce, l’ensemble des éléments débattus à l’audience et les pièces versées aux débats permettent d’établir l’existence d’un trouble manifestement illicite certain et actuel ».
Dans un deuxième cas, les grévistes ne pouvaient pas se déplacer de site en site et adoptèrent une stratégie différente : aucun pneu, aucune palette, mais une chaine humaine à chaque fois qu’un camion tentait de quitter l’entreprise avec de la marchandise. Saisit une deuxième fois de ce litige, le Tribunal judiciaire constatera le stratagème et statua en conséquence :
« Ces constats révèlent donc qu’après avoir libéré l’accès à l’entreprise des entraves physiques […] les salariés grévistes ont recours, tous les jours, depuis le lundi 4 avril 2022 à des entraves physiques par le moyen de leur propre corps […]. Certes la demanderesse ne produit pas de nouveau constat d’huissier de justice pour savoir si ces entraves continuait d’avoir lieu le lundi 11 ou le mardi 12 avril 2022. Cependant, il convient de constater que […] les blocages ont été réalisé tous les jours de la semaine du 4 avril ».
Le Tribunal judiciaire a également pris en compte dans ce cas les intentions des salariés procédant aux entraves : « la délégation syndicale a fait connaitre ses intentions de créer un « tsunami » par le moyen d’un plan d’action et que Monsieur […] a annoncé dès le 28 mars 2022 qu’aucun camion ne sortira de l’entreprise, il doit être considéré que le moyen d’entrave se poursuit et se poursuivra ».
Voilà deux décisions que nous saluons pour la justesse de l’interprétation et l’équilibre qu’elles réinstaurent dans un climat social dégradé qui ne peut trouver de solution consensuelle dans la menace et les blocages.
Nous remercions nos clients pour leur confiance en notre équipe.